Voisin du domaine de Chambord, proche de Blois, établi sur les bords de la Loire, le petit village de Saint-Dye-sur-Loire est riche d’un beau patrimoine. A visiter en été lorsque les roses trémières sont en fleurs pour profiter du charme de ses petites rues.
Pour rappel l’ensemble des bords de Loire depuis Orléans est classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco (WHL Unesco), le village est donc inclus dans cette aire de protection.
Depuis le 1er juillet 2019, Saint-Dyé-sur-Loire est aussi labellisée “ Petite Cité de caractère ”. et fait partie depuis 2016 de la liste des Sites Patrimoniaux Remarquables.
HISTOIRE de SAINT-DYE-SUR-LOIRE
Les origines avec Saint-Deodat
Nous commençons notre récit au pays des Carnutes, les celtes de la Beauce établis entre Chartres, Blois et Orléans. Vers ~460 (?), selon la légende, arrivent dans la région deux ermites : Déodat (Sanctus Déodatus ou Dié) et Baudemir (Sanctus Baldomerus ou Beaumaire ou Baumer). Ces derniers se seraient rencontrés au monastère de Chabris-sur-Cher.
Saint Baudemir serait originaire de la région de Chartres. Saint Déodat serait né quant à lui à Bourges. Il ne faut pas le confondre avec Saint-Dié qui fonda un monastère dans la région de Saint-Dié dans les Vosges un siècle plus tard.
A cette époque il est de coutume pour les représentants de l’église chrétienne d’occuper des lieux de cultes païens afin de convertir les populations. En face de Saint-Dié sur l’autre rive de la Loire se trouve par exemple le temple gallo-romain d’Apollon de Suèvres sur les fondations duquel sera construite l’église catholique. Son inscription dédicatoire a d’ailleurs été conservée « miraculeusement » et on peut la retrouver de nos jours enchâssée dans le mur de la sacristie.
Dans cette même optique, Saint-Deodat choisit de s’installer dans une grotte consacrée par les païens au culte de l’eau. C’est de là que née sans doute la légende selon laquelle il aurait terrassé le dragon occupant la grotte (une métaphore, le dragon étant le paganisme … ). En ce lieu il mène une vie de solitude et de prières et acquiert une réputation de sainteté.
La légende rapporte qu’en 507 Clovis partant en guerre vient consulter l’ermite. Après sa victoire, il dote celui-ci des terres entourant la grotte et des fonds lui permettant de fonder un modeste couvent. Deodat ne sera jamais fait prêtre, il ne s’en sentait pas digne.
Il meurt entouré de ses moines vers 530 ou 535 et est enterré dans cette même grotte qui devient la crypte d’une première chapelle. Cette première « grotte » se situe de nos jours au chevet de l’église dans une maison quasi accolée, et il arrive que des processions s’y rendent encore.
Attirés par les miracles qui sont attribués à l’ermite, les pèlerins commencent à affluer, permettant le développement du village et la création d’un nouveau monastère au VIe siècle. Le saint est en effet réputé guérir les maladies des yeux et accorder aux femmes des accouchements sans douleur.
Des fouilles en ont retrouvé des traces en profondeur le long des contreforts de l’actuelle église, côté place.
Une seconde église (sans doute même une basilique) est construite sous le règne de Charles le Chauve, après le passage des Normands qui ravagent la région entre 854 et 868. En 1962 des fouilles archéologiques ont permis de retrouver les fondations de cette basilique.
Le sarcophage de Saint-Deodat fut à un moment, sans doute avec le développement de son pélerinage, exhumé et transporté dans l’église, et installé dans un sarcophage de grès rose d’Anjou puis inséré dans une sorte d’hypogée, une chambre funéraire creusée dans le sol du sanctuaire, maçonnée et voûtée. C’est cet ensemble qui fut découvert lors de fouilles sous le dallage de l’église en 1963. Il est désormais visible dans l’église sous un plancher de verre.
Saint-Baumer quant à lui se retira sur une île en face de Saint-Dié et y reposa sans doute jusqu’à son transfert dans l’église, peut-être au Iien avec le développement du culte des saints. Son sarcophage fut lui aussi retrouvé en 1963 lors des fouilles.
La ville doit certainement son nom à l’ermite Deodat. Cependant il est encore difficile historiquement de certifier les informations précédentes qui sont parvenues sous forme de légendes.
Ce qui est par contre confirmé c’est la présence, au niveau de la Rue Creuse, d’un cimetière mérovingien, et donc l’existence d’un petit bourg autour des VI et VIIe siècles, ainsi que la présence des deux sarcophages dans l’église et l’existence de précédentes chapelles.
Mais de la légende du combat de Saint-Deodat contre le dragon, la ville a cependant conservé son blason.
Des fortifications au Port de Chambord
Au XIIIe siècle est construite, sur trois des côtés de la ville, une enceinte fortifiée avec ses tours et sa muraille, l’autre protection naturelle de la ville étant la Loire elle-même. La ville est ainsi protégée lors de la Guerre de 100 ans, contre les attaques anglaises, mais aussi contre les hordes de brigands qui sévissent à cette époque.
La ville grandit petit à petit. Grâce aux pèlerinages et sa basilique, elle devient paroisse, et à ses fortifications s’ajoute un petit port. Ce dernier profite pendant un moment du développement de la région : sans doute exploitation des forêts de Sologne, mais aussi assainissement des marécages au profit d’étangs (et pisciculture) et de terres cultivables, augmentant les échanges fluviaux. Il faut dire qu’à l’époque les routes ne sont pas très praticables ni nombreuses. De nombreuses résidences et petits châteaux s’y construisent.
En 1519 débute le chantier du château de Chambord. Le port de Saint-Dyé distant de 4 km environ voit ainsi transiter la majorité des matériaux (les pierres d’Apremont, de Bourré, les ardoises de Trélazé. Plusieurs dizaines de bateaux s’y amarrent chaque jour. La ville se développe à toute vitesse, servant en quelque sorte d’épicentre logistique, logeant les quelques 1800 ouvriers. Des corps de métier, comme les maîtres maçons, font construire ou s’installent dans les maisons de style Renaissance. On comptera jusqu’à 12 hostelleries et auberges. le port est dénommé « Port de Chambord« .
Au même moment la région voit se développer le nombre des petites exploitations agricoles et vinicoles, les closeries. Saint-Dyé est aussi connue pour ses étoffes de laines. La région bénéficie de plus de la « règle des vingt lieues » édictée en août 1577 qui réglemente l’introduction des vins communs dans l’enceinte de la capitale. Il est à partir de cette date interdit aux marchands de vin tout achat à l’intérieur d’un périmètre de vingt lieues autour de Paris (environ 88 km). Le port devient aussi un port aux vins.
Le commerce du port est facilité par la suite avec l’ouverture du canal d’Orléans en 1692 et celui de Loing en 1724.
Il est dit que d’illustres personnages séjourneront à Saint-Dyé : François 1er en 1523, D’Artagnan en parle dans ses mémoires (il aurait été enfermé dans la chambre des bedeaux), Jean de la Fontaine et Lully en 1653, Mme de Sévigné, le Roi de Pologne Stanislas Leszczynski s’y réfugiera en 1727 pour fuir les marais de Chambord où il résidait en tant que beau-père de Louis XV, le maréchal de Saxe (nommé gouverneur à vie de Chambord par Louis XV) y installe une garnison et y accueille ses « soirées galantes » …
Après Chambord …
Hélas … Sous Louis XV, Chambord est abandonné. De plus la Sologne se retrouve progressivement désertée et par endroits les marécages regagnent petit à petit du terrain.
En 1773 est ouverte sur l’autre rive la Route Royale de Paris vers l’Espagne, détournant les échanges commerciaux. L’intérêt pour le transport fluvial diminue avec l’amélioration de l’état des routes.
Un regain verra le jour avec la qualité des étoffes produites dans les manufactures de coton qui s’y développeront, et dont la matière première est directement dépendante du transport fluvial. Mais la mécanisation y mettra un coup d’arrêt.
A la Belle Epoque, c’est à peine un village champêtre. Du recensement de 1782 à la moitié du XXème siècle, la ville aura perdu les 2/3 de ses habitants.
De nos jours la ville mise sur son cadre touristique et retrouve du dynamisme grâce aux animations principalement liées à sa situation sur la route des bords de Loire et proche de nombreux châteaux de la Loire. La mise en valeur de son patrimoine lui vaut une nouvelle reconnaissance.
EGLISE de SAINT-DYE-SUR-LOIRE
Lors de la construction de Chambord, la population était beaucoup plus importante notamment par la présence des nombreux ouvriers sur le chantier. Il fallait une église bien plus grande que la modeste église de village.
L’actuelle église mesure 45 mètres de long sur 15 mètres de large. Ses murs sont soutenus par des piliers butant. D’autres contreforts furent ajoutés en 1680 et 1685.
A droite de la porte donnant sur la place se trouve l’unique gargouille de l’édifice (de 1653 d’après un devis conservé).
Sa tour inachevée, datant de 1547 (la date est gravée au-dessus de la porte de l’escalier), présente un style grec avec des colonnes jumelées, comme à la cathédrale de Blois, sa proche voisine. Elles pourraient avoir eu le même maître d’oeuvre.
Plusieurs sources indiquent qu‘en 1561, l’église est incendiée par les Huguenots. Les dégradations et combats dans la région durèrent encore plusieurs années. Sans doute les travaux sur l’église furent-ils de ce fait interrompus dans ce climat d’incertitude religieuse et de violence (ou alors les ouvriers étaient tout simplement mieux payés sur le chantier de Chambord … ).
Le portail en forme d’ogive est séparé en 2 portes par un pilier formant croix. On y trouvait des statues dans les niches. Avant 1830, on y voyait même une tribune à balustrade qui s’avançait jusqu’au dessus des escaliers. Les amorces de celle-ci sont encore visibles aux contreforts d’angle.
La tour forme une sorte de narthex avant la nef dont elle est séparée par une grande porte en bois.
A l’intérieur de ce « narthex » on distingue une sorte de balcon qui devait donner sur la tribune extérieure et une porte ouvragée menant sans doute au clocher (la porte est paraît-il datée de 1547 , personnellement je n’y distingue rien)
L’intérieur est constitué d’une nef de quatre travées, avec un transept et un chœur, et de deux bas-côtés qui furent ajoutés après l’incendie de 1561..
En 1680 la foudre tombée sur l’église entraîna l’éboulement des voûtes. De la reconstruction datent les arcs doubleaux et les contreforts ajoutés pour consolider l’édifice fragilisé.
Louis XIV aida à la reconstruction, c’est pourquoi on distingue encore des soleils sur les clefs de voûte avec une inscription datée de 1686.
La curiosité principale de l’église, outre le tombeau, en est sa « collection » de marmousets.
Par définition, un marmouset est motif ornemental représentant un personnage de petite taille, dans une posture burlesque ou extravagante. A Saint-Dye-sur-Loire, on put ainsi voir beaucoup d’animaux (un pélican se déchirant, une colombe en vol, un lion, un bélier ailé, un lézard, …) mais aussi des scènes plus étranges : un chœur d’anges musiciens (cf photo) , un chat à tête de femme dont les oreilles percent le voile, un démon tirant la queue d’un porc, des époux ailés se donnant le bras, la femme tenant la queue d’une sirène voisine (cf photo), un centaure à tête de femme, un singe barbu …
Pour la femme et les sirènes, j’ai donné l’explication de la documentation fournie dans l’église, mais personnellement je vois plus une sorte de liane partant d’entre les époux et tenue par la femme et les deux sirènes …
Deux culs-de-lampe portant la date de 1557 (pourquoi ?) encadrent le portail d’entrée … et près du chœur on trouve cet amusant marmouset représentant Clovis.
L’abside de style neo-grecque est inachevée elle-aussi. On y trouve ornements, colonnes et corniches …
Le maître-autel décoré de marbre d’Italie est de 1877. Les stalles proviennent de l’abbaye de Bourg-Moyen à Blois.
Lors de travaux de réfection on a découvert des bas-reliefs à l’arrière de l’autel et surtout une inscription datant de la Révolution sur l’un des murs.
Petit retour en arrière. En 1793 l’église devient Temple de la Divine Raison (ce qui permet tout de même de la sauver d’autres destinations, beaucoup devenant grange, entrepôt de salpêtre, etc .. ).
Une Descente de Croix exposée dans le chœur est remplacée par une « profession de foi » plus conforme avec l’époque sur laquelle on peut lire ‘Liberté, égalité et indivisibilité de la république française ou la mort » .. Bon, quand je dis plus conforme avec l’époque, je ne suis pas sure que « la mort » soit habituelle sur ce type de déclaration. Par contre on trouve plus souvent les termes de République, Egalité (on les a retrouvé inscrits par exemple sur des colonnes dans la cathédrale de Chartres, ou la chapelle mortuaire à Anet).
A priori l’église comptait d’autres inscriptions du même type qui ont disparu. On fit aussi lors de cette période de troubles révolutionnaires fondre ses cloches, les métaux furent récupérés, le mobilier vendu ainsi que la centaine de pierres tombales qui tapissaient son sol ….
A la même période, la commune se nomme simplement Dié ou Dié-sur-Loire.
Au centre du chœur se trouve le caveau de Saint-Dié, qui abrite un sarcophage de grès rose du VIe siècle. On le voit aujourd’hui à travers des dalles de verre mais sans doute lors de sa vénération (on parle de « confession de Saint-Dié ») était-il visible depuis une « fenestella », une petite ouverture fermée d’une grille comme en témoignent quelques vestiges. Le sarcophage a été avancé pour en retirer les reliques en 1482 et bloque depuis l’ouverture du couloir de circulation de l’époque.
Mais ce tombeau est … vide ! En effet, à la fin du XVe, l’occasion d’un pèlerinage à Cléry, le roi Louis XI offrit une chasse précieuse destinée à abriter les reliques du saint. Exposée à la ferveur populaire, cette chasse disparue par la suite, sans doute volée.
Dans le transept une plaque indique également l’emplacement du tombeau de Baudemire. Son sarcophage a été retrouvé lors des fouilles de 1962 dans une absidiole de l’ancienne basilique. En 1843 ses ossements avaient déjà été mis dans une petite boîte en plomb et celle-ci se trouvait à l’intérieur du sarcophage. L’ensemble a été remis en place et les excavations des fouilles comblées en 1963.
L’église comporte très peu de vitraux …
Nous poursuivrons la visite de la ville dans les prochains articles.
Sources
- Sur le site Balades et Patrimoine, la page consacrée à Saint-Dyé-sur-Loire
- Informations sur Saint Deodat et le port de Saint-Dye sur la page Facebook des Amis de la Fête de Saint-Dyé
- fascicule disponible contre une petite obole à la gentille bénévole à l’accueil de l’église 🙂
- la page Wikipedia sur Saint-Dyé-sur-Loire
- Histoire de Saint-Dyé-sur-Loire sur le site de la communauté de communes du Grand Chambord
- le temple gallo-romain d’Apollon à Suèvres
- vie de Saint-Deodat
- information sur l’inscription révolutionnaire dans saint-dye-sur-loire et sur les troubles revolutionnaires l-opulent-edifice-de-saint-dye dans la Nouvelel Republique
- 1561, église dévastée par les Huguenots : source Dieu, le roi et l’oiseau par Jean-Marie Bourreau sur Google books // Monumentum Eglise Saint-Dyé