Col du Donon … entre Histoire et Mémoire

Lors de nos aller-retours vers l’Alsace, nous avons pris l’habitude de passer par le Col du Donon, et nous nous sommes souvent demandé ce qu’étaient certains monuments aperçus depuis la route … Finalement l’été dernier nous y avons fait une courte pause.  Ce site reflète en effet certains aspects historiques de l’Alsace et est un lieu de mémoire.

Table panoramique du Col du Donon
Table panoramique du Col du Donon

 

La Montagne sacrée

Au Col du Donon même, en arrivant de Schirmeck, sur le petit parking longeant la route, on peut voir cette étrange colonne près de panneaux touristiques.

Col du Donon - Colonne de Jupiter
Jupiter cavalier à l’anguipède

 

Il s’agit de la colonne dite du « Jupiter cavalier à l’anguipède » (original au Musée Archéologique de Strasbourg) mais cela pourrait aussi être Taranis le dieu romain des espaces célestes et de la foudre … et sur le chapiteau, il s’agit sans doute d’une représentation des 4 saisons avec 4 masques …

Pour être exacte, cette colonne est une reconstitution de 1933 à partir de la copie de différents éléments trouvés sur le site (statue, chapiteau ..) par des officiers allemands lors de l’installation d’un poste d’observation et de tir en 1916-17. Elle fut commanditée par Fanny Lacour en mémoire de son fils mort sur ce site pendant la guerre. Cette femme fut par la suite l’instigatrice de nombreuses fouilles archéologiques.

Temple du Donon
source Wikipedia

 

Il faut imaginer le Donon avec ses 1009 m dominant les Basse-Vosges, ce qui lui donne un caractère sacré. On a trouvé des traces d’occupation datant de plus de 5000 ans. Son sommet à l’écart des lieux habituels d’occupation est favorable au développement des légendes et des cultes magiques. Des traces de cultes druidiques et quelques vestiges en témoignent, notamment une enceinte, un puits et quelques fondations.

Les Romains consacrèrent ensuite le site au culte de Mercure au IIème et IIIème siècles. On y trouve ainsi des stèles votives et la possible présence de 3 temples gallo-romains, dont les vestiges originaux sont conservés dans les musées d’Epinal et de Strasbourg. Aujourd’hui un semblant de temple érigé en 1869 en plein romantisme en couronne le sommet, symbole du Donon.

Brochure de l’O.T. de la Vallée de la Bruche

 

Les colonnes comme celle exposée en bord de route accueillaient sans doute les fidèles au pied du sanctuaire gallo-romain. L’Office du Tourisme de la Vallée de la Bruche propose une brochure avec des explications et un Sentier de découverte archéologique du Donon.

 

Depuis le col, la vue est déjà bien dégagée. Pourtant le sommet lui-même est 300m au-dessus.

vue depuis le Col du Donon

 

La Montagne ensanglantée

Les 21-22 août 1914, de violents combats se sont déroulés au Petit Donon (961m, au NE du Donon) opposant les forces françaises aux allemandes. Ceux-ci y construisirent de nombreuses fortifications, certains de ces abris bétonnés sont encore visibles aujourd’hui, en empruntant lesentier des Bunkers ou des casemates aménagé par le Club Vosgien (circuit 1 ou circuit 2).

 

Le site est surtout connu pour ses rochers, lieux de sépultures provisoires, qui portent encore la mémoire des hommes morts au combat. En effet la bataille qui opposa les 2 armées  fit de nombreuses pertes et les sépultures furent creusées à la hâte. Des croix en bois furent plantées sur les tombes.

En 1916 des stèles furent confectionnées pour toutes ces tombes ou fosses communes disséminées à partir des blocs de grès trouvés sur place, en même temps que leur relevé était établi. Beaucoup des tombes portent ainsi un numero d’ordre avec éventuellement le numéro de régiment et le grade, plus rarement le patronyme (rare étaient les plaques d’identité à cette époque, de nombreux soldats sont indiqués comme « inconnu »). On estime que le nombre de ces stèles étaient de 180, une quarantaine sont visibles actuellement.

La Nécropole Nationale du Col du Donon fut créée en 1920 pour y recevoir les corps des militaires français inhumés alentour. Elle comprend 2 ossuaires, l’un pour les Bataillons de Chasseurs à pied (110 soldats), l’autre pour le régiment d’infanterie et de génie (71 soldats) ainsi que 108 tombes (et 36 morts lors de la 2de guerre ). Le monument en grès porte les inscriptions

« Combats du Donon 21-22 août 1914 – Aux Officiers, Sous-Officiers et Soldats« .

 

Necropole du Col du Donon
Necropole du Col du Donon

 

 

Monument National à la Mémoire des Évadés et des Passeurs

En continuant quelques kilomètres vers Raon-sur-Plaine, on trouve à droite de la route le Monument National à la Mémoire des Évadés et des Passeurs.

Monument en Mémoire des Evadés de Guerre et des Passeurs - Raon-sur-Plaine
Monument National à la Mémoire des Évadés et des Passeurs
Monument en Mémoire des Evadés de Guerre et des Passeurs - Raon-sur-Plaine
Monument à la Mémoire des Évadés et des Passeurs

 

L’initiateur de ce monument est James GENEL, lui-même un ancien prisonnier évadé. Il fut érigé sur le versant vosgien du Donon, sur la commune de Raon-sur-Plaine en 1960 « A la mémoire des évadés et des passeurs ».Cet énorme bloc de granit taillé symbolise certes la captivité avec sa chaîne – une chaîne rompue – mais surtout la force et la résistance du sentiment de liberté, indestructible comme le granit …

 

Pourquoi ce monument perdu quasiment au milieu des Vosges ?
Zones françaises occupées pendant la Seconde Guerre mondiale
source Wikipedia – credit E.Gaba

 

Replongeons-nous dans le temps. Nous sommes proche de la vallée de la Bruche, à la frontière entre le Bas-Rhin et les Vosges, à peu de distance de la Meurthe-et-Moselle, entre Alsace et Lorraine. Il faut rappeler quelque chose de très important : la ligne de démarcation n’existait pas qu’au centre de la France, elle était présente aussi dans l’Est.

Dès juin 1940, l’Alsace est annexée par les Allemands et la frontière rétablie sur la ligne des Crêtes comme en 1871 après la défaite de Sedan. Le territoire du Bas-Rhin se trouve dès lors dans le Reich allemand, comme zone annexée, et les Vosges sont en France, en zone occupée par l’armée nazie (qui plus est avec un statue spécial de zone interdite au retour des réfugiés). La frontière est surveillée par des patrouilles allemandes en liaison avec les soldats de la Gestapo en zone occupée.

Timbre RAD

 

Après la défaite de l’armée française en 1940, la France compte 1800000 prisonniers de guerre emprisonnés dans toute l’Allemagne. Mais 40000 d’entre eux réussiront à s’évader. S’y ajouteront les familles juives ou les opposants allemands au nazisme … De plus la germanisation de l’Alsace commence dès l’Armistice.

Les Alsaciens et les Mosellans opposés au RAD (le Reichsarbeitsdienst, Service du Travail, devenu obligatoire pour les Alsaciens en mai 1941), les incorporés « malgré nous » déserteurs de la Wehrmacht, les résistants viendront grossir le nombre des « évadés ». On estime à 40000 le nombre d’Alsaciens ayant fui avant ces mesures, et 18000 le nombre de soldats ayant déserté.

 

Le Sentier des Passeurs

Les passeurs de la région furent pour tous ces hommes et femmes d’un grand secours. Leur connaissance du terrain, à travers la forêt vosgienne, et de nuit, fut une aide inestimable. Ils s’organisèrent pour beaucoup en filières, avec tout un réseau structuré, des 2 côtés de la frontière : des passeurs/hébergeurs (gardes des Eaux et Forêts, gardes chasse, cultivateurs, garagistes, bûcherons, gendarmes, enseignants, élus, clergé… ), des faiseurs de faux-papiers (maires, secrétaires de mairie aussi souvent instituteurs du village, gendarmes personnels des sous-préfectures et préfecture… ) … et des réseaux d’évacuation à travers toute la France … On estime que 98000 jeunes hommes seraient passés par cette chaîne des Vosges (hors les familles fuyant … ) beaucoup aidés par ces réseaux.

 

Un peu plus loin entre Salm et Moussey, un sentier dit « Sentier des Passeurs » illustre cet épisode de l’histoire alsacienne (guide disponible à l’Office du Tourisme Vallee de Bruche )

Sentier des Passeurs - Fermeture Eclaire d'A. Chauveaux
Fermeture Eclaire d’A. Chauveaux

 

Non loin du monument des évadés et des passeurs il est possible d’admirer une fermeture éclair en bois. C’est une des oeuvres d’une biennale d’art contemporain en plein air organisée par Helicoop, sur 30 sites dans le Pays de Salm : « Sentier des Passeurs« . (prochaine édition en 2016)

Sur le thème Passeurs d’Ombres et de Lumières, il s’agit d’une oeuvre d’Alain Chauveaux: « Fermeture éclaire » réalisée pour 2 éditions de la biennale 2008/2012 : une sculpture sur grume (portion de tronc non équarrie)

« A moins d’une langue de bois qui fourche,

antinomiquement la fermeture éclair est aussi une ouverture,

signe de liberté dressée« 

 

 

Quelques blogs de randonnées à découvrir … pour vous faire une idée des parcours de randonnées et des merveilles à découvrir au fil de la marche dans ce massif (et autour)  :
Le Sentier des Passeurs
Randonnée par le Donon et le Petit Donon
Randonnee Autour du Donon, du Kohlberg et du Petit Donon
Le Donon Montagne Sacrée
Le sentier des bunkers

Sources
Wikipedia Col du Donon
Wikipedia Bataille du Donon
Resistance-deportation article
Resistance-deportation – article les Passeurs de la Bruche Rabodeau
Office du Tourisme de la Vallée de la Bruche

 

 

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